Conclusions de l’étude sur l’introduction au Sefer Hamitsvoth par Yona Abitbol
Présentation de la problématique
Notre Maître fils du Dayan Maïmon – la mention des justes est une providence – a inauguré une activité dans l’étude de la Torah et qui s’appelle le comptage des 613 mitsvoth de la Torah en deux groupes : 248 et 365. Cette préoccupation de Rambam à compter les mitsvoth a été suivie par celle de grands sages après lui, tant en Espagne (RambaN et Sefer Ha’hinoukh) qu’en France (Sma »g et Sma »q).
Le problème est que cette activité de comptage n’a pas de trace dans le Talmud. Ce n’est pas que le nombre de 613, décomposé en 248 et 365, ne soit pas quelque chose d’admis. Au contraire, toutes les sources de la tradition orale le mentionnent : Talmud Babli (Shevouoth 29a, Nedarim 25a, Yevamoth 47b, Shabath 87a etc), Bereshit Raba (24.5), Midrash Tan’houma (Ki Tetsé2) Pirqei de Rabi Eliezer (chap 41) et Shir Hashirim Raba (1.17).
Cependant, il n’existe pas dans ces sources, trace de l’activité de comptage elle-même. En des dizaines d’endroits, les Tanaïm et les Amoraim discutent sur un comportement : recommandation à agir ou possibilité offerte à la personne d’agir ainsi ? Ce genre de controverse a une implication directe sur le comptage des mitsvoth, or il n’a jamais été question de savoir comment ces auteurs en controverse effectuent le comptage des 613, chacun selon son opinion. Bref, on a l’impression que cette activité de comptage n’a pas la place dans la tradition orale que Rambam voudrait lui donner.
La question se pose encore avec plus de véhémence parce qu’on possède une chaîne de tradition orale jusqu’à aujourd’hui, qui ignore complètement l’activité du comptage des mitsvoth en 613. C’est la tradition qui commence avec le Rif et se poursuit avec le Rosh, le Tour et le Shoulkhan Aroukh et tous ses commentateurs, y compris la Mishnah Beroura. Cela prouve bien que l’activité de décisionnaire – savoir faire monter la tradition orale d’écoute au cœur de la méthode, de la règle à suivre, à partir de la littérature océanique qu’est le Talmud – n’est pas nécessairement liée au comptage des mitsvoth en 613 !!
On demande donc à Rambam :
d’où il tient cette activité en si grande estime ?
comment justifiera-t’il son absence dans la Mishnah et la Guemara ?
Quelle est la nécessité de cette activité de comptage ?
Les Géonim, même s’ils se sont prêtés au comptage ne l’ont fait que comme une activité secondaire !! (cf Sidour Rassag p. 156)
Entre la Michnah et le Michné-Torah : le Talmud. Les deux versions de la Torah orale
Introduction : Pour comprendre le travail que Rambam entreprend dans le comptage des Mitsvoth en tant que préliminaire à son Michné-Torah, il faut revenir à la racine du sujet : la Torah Orale.
Que dire de ce coupe Torah écrite / Torah orale ? Pourquoi tout n’est-il pas écrit ? Pourquoi tout n’est-il pas oral ? Que veut dire écrit, que veut dire oral ?
La Torah orale a deux formes de présentation : l’une, courte, présentation sous forme de halakhah; l’autre, longue, bâtir l’intelligence du texte de la Torah pour y entendre la halakhah de la Michnah et pour être en mesure de formuler un énoncé de la halakhah qui tienne compte des règles et des méthodes d’interprétation du texte de la Torah. L’une est un énoncé de la tradition qui répète le contenu de la Torah en tant qu’elle est Mitsvah, c’est-à-dire Halakhah dans une concision proche du texte de la Torah elle-même. L’autre est une formulation complète du lien qu’il y a entre cette halakhah et le texte de la Torah en exposant les règles et les méthodes de pensée et de lecture à suivre pour parvenir à ce lien.
L’histoire a apporté le texte de la Michnah avant celui du Talmud. Cela a eu pour conséquence de devoir reformuler toute la Mishnah, c’est-à-dire la halakhah après que celle-ci ait été amplifiée et développée. C’est à cette tâche que les Géonim se sont attelés pendant les 500 ans qui ont suivi la rédaction du Talmud : enseigner le Talmud et formuler toute la halakhah qui en sort. Tâche difficile dans la mesure où chaque page du Talmud développe plusieurs aspects possibles sur une question, ce qui est à l’opposé de la formulation de la halakhah, de la mitsvah ! Or dans l’agissement on ne peut retenir deux contraires ! Voilà qu’on a dû formuler une nouvelle Michnah. Cette formulation était orale pendant toute la période des Géonim. Au besoin, les Géonim adressaient des responsa aux communautés qui dépêchaient des émissaires chez eux à Bavel. C’est à la période des Richonim qu’on commence à rédiger par rédiger par écrit cette nouvelle Michnah.
C’est en cela que Rambam a voulu inscrire son oeuvre dans la Torah-orale. Sa lange est celle de la Michnah. La manière dont les énoncés sont appelés à former un texte, sont similaires dans la Michnah de Rabi et le Michné Torah (nonobstant, pour l’instant, le changement d’ordre que Rambam a opéré par rapport à celui de Rabi. Son contenu est la halakhah qui se dégage de toutes les sources de la tradition orale : tout d’abord Talmud Babli mais aussi Yeroushalmi, Mekhilta, Tossefta, Sifra, Sifri. Une répétition de toute la Torah-orale : Mishné-Torah.
Les trois acceptions des mots Michnah et Talmud : exercice, époque et corpus
Corpus
1/- On utilise le plus souvent les mots Mishnah et Talmud comme désignant des corpus de textes; ce qu’ils sont.
la Mishnah est un texte divisé en 6 ordres : Semences, Temps, Femmes, Dommages, Sacrifices, Pureté; 63 Traités ou Textes (Massekhet = Messekh = Textile = Texte); 525 chapitres ou articulations; 4192 voies ou alinea . Le sujet de la Michnah est la Halakhah, la voie à suivre et non pas la Agada, le récit narratif. Ce corpus a été scellé par Rabi Yehouda Hannassi et les Sages du Sanhédrin de son époque ( -188).
Le Talmud est un texte de méthodes, de commentaires et de récits se rapportant à la Mishnah. Il en existe deux versions : – Le Talmud Babli, texte se rapportant à 37 Traités de la Mishnah (sur 63), commentant 309 chapitres sur 325; 2683 pages dans l’édition courante, dite de Vilna. – Le Talmud Yeroushalmi, texte se rapportant à 39 Traités de la Mishnah, 294 chapitres. Selon Rambam, dans son introduction au Mishné-Torah, le Talmud Yeroushalmi a été rédigé par Rabi Yo’hanan 300 ans après la destruction du Beith Hamiqdash (environ – 370); le Talmud Babli ayant été rédigé par Rav Ashi et Ravina 100 ans après le Talmud Yeroushalmi ( – 488) – Le Talmud Yeroushalmi commente 11 Traités que la Babli ne traite pas (10 de Semences et Sheqalim). Le Talmud Babli commente 10 Traités que le Yeroushalmi ne traite pas (9 de Sacrifices et Nida).
Cependant, les mots Mishnah et Talmud ne désignent pas seulement des corpus, mais aussi des exercices d’apprentissages bien distincts.
Exercice
La Mishnah et le Talmud comme exercice.
Berakhoth 5a : « Rabi Levi fils de ‘Hama interprète au nom de Rabi Shimon fils de Laqish : quelle est la signification de cette Ecriture (Sh 24-12) : « Je te donnerai les Tables de pierre et l’Enseignement et la recommandation que J’ai écrits pour les guider » ? Les Tables, ce sont les 10 Paroles; l’Enseignement – Torah-, c’est le texte de la Déclamation; la Recommandation – Mitsvah, c’est la Mishnah; Que J’ai écrits, ce sont les huit prophètes et les 11 livres d’Ecriture de la Sainteté [dans leur accent de remontrance]; Pour les guider, c’est le Talmud. Ce verset vient nous enseigner que l’ensemble de ces parties-là ont été données à Moshé au Sinaï.
Précisons ce qu’est la Mishnah comme exercice. Le mot Mishnah est synonyme de Torah-orale. Le mot Mishnah désigne la répétition du contenu de la Torah-écrite avec des mots qui ne sont pas ceux déposés dans l’Ecriture, mots de prophétie, mais sont ceux de l’homme qui les répète. C’est en ce sens que Rashi souligne, à propos du verset (Shemoth 31-8) » Il donna à Moshé, lorsqu’Il conclut de parler avec lui au mont Sinaï … ». Rashi : Parler avec lui, cela nous apprend que Moshé écoutait de la bouche de la Puissance et qu’ils répétaient et redisaient la voie ensemble ».
Hashem parle à Moshé clairement et explicitement et ce sont les paroles de la prophétie, de la Torah-écrite. Ensuite, ils reprennent l’enseignement du point de vue de Moshé, de celui qui reçoit la Torah. Hashem et Moshé discutent ensemble pour répéter le contenu de la prophétie dans une parole qui la déploie comme recommandation, la voie à suivre pour réaliser la mitsvah par celui à qui elle a été adressée. C’est en ce sens que Rashi interprète en deux endroits (Devarim 4-6 et 12-28) le verbe « garder » comme désignant l’exercice de la Mishnah. Pour réaliser une mitsvah, l’homme doit avoir en garde, en mémoire, la Mishnah qui donne le contour et la forme de la mitsvah. Le mot Mishnah, dans les références ci-dessus, ne désigne pas le corpus scellé par Rabi, mais une forme de l’apprentissage de la Torah. Dire l’enseignement de la prophétie, dans une langue qui a le souci précis du vécu humain, à qui cette prophétie est adressée..
Précisons ce qu’est le Talmud comme exercice. Voici la préoccupation qui a pour nom Talmud selon Rambam – Méthodes de l’apprentissage de la Torah (1.11) : il construit l’intelligence d’un propos de la Torah depuis son expression aboutie en remontant jusqu’à son commencement; il déduit une chose d’une autre et compare une chose à l’autre; il raisonne avec les mesures d’enquête du texte de la Torah jusqu’à connaître le fondement des mesures, comment on en déduit l’interdit et le permis et toutes les choses qu’il a apprises par tradition d’écoute. La Mishnah, comme synonyme de Torah-orale, a besoin d’un autre discours à côté d’elle pour la fonder et la justifier. Les énoncés de la Mishnah sont laconiques; ils doivent être explicités. Le Talmud est l’explicitation des sources de la Torah-orale dans la Torah-écrite, des paroles et des mots employés par la Mishnah et des développements des sujets abordés par la Mishnah (Iqarei, Divrei et Inyanei Hamishnah). La langue de la Torah et la possibilité qu’elle a d’être examinée pour y trouver son intention, est ce que Moshé Rabenou a reçu au Sinaï. L’analyse de la langue de la Torah dans ses détours et ses retours, ses rebours et ses recours, est ce que l’on appelle le midrash ou la drashah, l’enquête du texte. Les méthodes de lecture, les mesures d’interprétation du texte qui sont des outils didactiques complexes et leur utilisation est ce que l’on appelle le Talmud et ce qui a été transmis à Moshé Rabenou au Sinaï. Le Talmud, avant d’être un corpus, est un ensemble de méthodes et de mesures d’interprétation qui sert à rendre intelligible le lien entre la Torah-écrite et la Torah-orale.
Epoque : la période de la Mishanh et celle du Talmud
Après les mille ans de la prophétie commence une nouvelle période dans notre rapport à la Parole de Hachem. De façon assumée et publique on proclame la fin de la parole prophétique adressée à un prophète vivant. Les Hommes de la Grande Assemblée ont engagé le peuple dans une répétition de l’alliance sur la base de la seule autorité de la Torah-orale. Donéravant Hashem ne parle aux hommes qu’à travers les Sages et tout homme qui répètent et interprètent la Torah écrite et orale.
Cette répétition, période du Bayith Shéni – « Demeure répétée » – commence 40 ans après la construction du Temple et dure 500 ans pour finir quand Rabi a scellé la Mishnah. Cette époque a été marquée par les Sages qui, générations après générations, ont dirigé le peuple par leur enseignement, dont l’essence est rapportée dans le premier chapitre de Avoth.
la période de la Mishnah ne signifie pas qu’en cette période on ne pratique pas l’exercice du Talmud. Bien au contraire. Les oeuvres des Midrashei Halakhah qui sont la base de l’exercice du Talmud, c’est-à-dire, intensifier le lien entre la Torah-écrite et la tradition orale, datent de l’époque de la Mishnah (Mekhilta de Rabbi Yishmaël, de Rabi Shimon Bar Yo’hay etc.). La période de la Mishnah a reçu ce nom parce qu’elle est conclue par la rédaction de la Mishnah.
[remarque importante : 1/- Le corpus de la Mishnah, malgré son nom, ne contient pas que des énoncés de type Mishnah (au style laconique indiquant la voie à suivre). En effet, le texte de la Mishnah rapporte des controverses entre les Sages, sans les trancher. Parfois même, la Mishnah rapporte les échanges entre des Tanaïm qui s’opposent, discussion dont le type est Talmud et non Mishnah. Une controverse sur un sujet n’est pas une formulation de Halakhah, de marche à suivre, car on ne peut suivre en même temps « assour » et « moutar ». Il faut donc admettre que la rédaction du texte de la Mishnah comprend aussi des passages de type Talmud. Le nom de Mishnah correspond à l’intention du texte majoritairement, bien que celui-ci contienne des parties de type Talmud. 2/- Le corpus du Talmud, malgré son nom, comporte un grand nombre d’énoncés de type Mishnah. En effet, Rabi a fait une sélection très raccourcie de l’enseignement des Tanaïm, qu’il a retenue dans la Mishnah. Ses élèves, parès lui, Rabi Hiya et Rabi Oshaya, ont rédigé des « Adenda » et des « Extérieurs » (Tosseftoth et Braïtoth) dont le Talmud s’est très largement servi. De même, le corpus du Talmud contient des décisions sur des sujets en controverse et rectifie ainsi bon nombre d’énoncés de la Mishnah. De telle sorte, pour posséder une Mishnah complète, ce ne peut see faire que par une synthèse du Talmud et une refonte totale des énoncés dans la langue de la Mishnah]
Il y a lieu maintenant de s’interroger sur les phases de rédaction de la Torah-orale.1/- Pourquoi a-t-elle été rédigée et scellée par Rabi alors que cela n’avait pas été fait ? 2/- Pourquoi Rabi a-t-il rédigé que la Mishnah et pas un Talmud en même temps pour exposer les méthodes, les sources et tous les développements ? 3/- Pourquoi Rav Ashi a-t-il rédigé le Talmud sans reformuler à nouveau toute la Mishnah ? 4/- Pourquoi Rabi et Rav Ashi n’ont-ils pas rédigé une oeuvre de style Mishné-Torah ? La réponse à cette interrogation est le sujet de la lettre que Rav Sherira Gaon a envoyée à la Yeshiva de Qairouân :
1/- Depuis Shimôn Hatsadiq et jusqu’à la destruction du Temps, chacun des maîtres enseignait à ses élèves la saveur du Miqra de la Mishnah et du Talmud avec les mots que lui même composait au moment de son enseignement et selon ce qui lui semblait. La stature des Sages rendait cela possible et donc riche et fécond. Lorsque Rabi a vu que la qualité de l’apprentissage avait baissé et que les détresses de la dispersion augmentaient, il a rédigé une version unique pour tout Israël de telle sorte qu’elle se maintienne dans les mémoires. Rabi lui-même connaissait 13 versions différentes de la Mishnah et il en a selectionné une, celle de Rabi Meïr (Nedarim 41a).
2/- Rédiger une composition de la Torah-orale pour qu’elle soit acceptée par tous, restreint automatiquement le champ de l’oralité. A l’époque de Rabi, il était suffisant de rédiger le corpus de la Mishnah seulement puisque la stature des Sages permettait qu’avec la seule Mishnah pour base, chaque Saghe pouvaity composer le Talmud qui l’explicite.
3/- C’estla même raison qui a dicté à Rav Ashi de rédiger une formule définitive des discussion de type Talmud, acceptée unanimement. La stature des Sages qui ont suivi la rédaction du Talmud permettait qu’avec le seul corpus du Talmud, chaque Sage pouvait composer une refonte totyale de la Mishnah qui reprenne outs les développements du Talmud. Telle a été l’éctivité des Geonim pendant les 500 ans qui ont suivi la rédaction du Talmud. ils formulaient oralement et chacun selon son mode spécifique une refonte de la halakhah, de la Mishnah telle qu’ils se l’étaient représentée à partir de l’océan talmudique.
4/- Rabi et Rav Ashi n’ont rédigé de façon définitive la Torah-orale que sous le poids d’une contrainte. Comme chaque rédaction définitive réduit le champ de l’oralité, Rabi et Rav Ashi ont marqué leur oeuvre en y laissant un champ d’oralité ouvert. La Mishnah de Rabi attend son développement de même que le Talmud de Rav Ashi appelle sa synthèse. Rabi a permis un large champ d’oralité aux Tanaïm et Rav Ashi un large champ d’oralité aux Geonim.
Venons-en à présent, à répondre aux questions qu’on a posées à Rambam sur sa démarche :
1/- ce que Rambam entreprend, c’est de donner une formulation de type Mishnah à l’ensemble de la littérature talmudique (les deux Talmud, Mekhilta, Tossefta etc.). Les sujets abordés le sont dans un ordre des plus simples à comprendre. Cette réorganisation dans l’ordre de la Mishnah nécessite une matrice à laquelle se référer et qui contiendrait toute la Torah-orale. Cette matrice, c’est les 613 et leur comptage.
2/- Rabi et Rav Ashi, tout en admettant cette formulation des 613 comme matrice de toute la Torah-orale, n’enferment pas leur enseignement à l’oralité dans cette dernière. Ils ne le font pas parcequ’ils ont été contraints de le faire. La stature des Sages de leur époque permettait que chaque Sage refonde la Mishnah dans une composition de son choix. La refonte n’avait pas encore besoin d’être scellée jusqu’à la fin de la période des Geonim.
3/- Le comptage est une autre manière de dire le travail de synthèse. Pour pouvoir se saisir d’un sujet, il faut le délimiter. Le Rif, le Rosh, le Tour, le Shoul’han Aroukh jusqu’à la Mishnah Brourah, ont un principe de comptage tranchant : la fréquence, ou quelles sont les situations de la vie en exil qui nécessitent de connaître la voie à suivre de la Torah-orale. Le principe de comptage de délimitation est simple : est-ce susceptible d’être rencontré et accompli en Exil ? C’est ce principe qui organise toute la chaîne d’auteurs cités et leurs oeuvres. Cependant, le Rambam, lui, veut rédiger une refonte de toute la Mishnah, de toute la Torah-orale. Voilà pourquoi il doit nécessairement trouver une matrice qui puisse la contenir.
4/- L’oeuvre de Rambam est devenue une nécessité quand la stature des Sages était telle qu’ils ne savaient pas eux-mêmes faire cette reformulation dans une composition de leur choix. Ce qui n’a pas été le cas pour les Geonim.
Introduction à l’étude du Sefer Hamitsvoth (deuxième partie : synthèse de la discussion par Yona ABITBOL)
Présentation de la problématique
Notre Maître fils du Dayan Maïmon – la mention des justes est une providence – a inauguré une activité dans l’étude de la Torah et qui s’appelle le comptage des 613 mitsvoth de la Torah en deux groupes : 248 et 365. Cette préoccupation de Rambam à compter les mitsvoth a été suivie par celle de grands sages après lui, tant en Espagne (RambaN et Sefer Ha’hinoukh) qu’en France (Sma »g et Sma »q).
Le problème est que cette activité de comptage n’a pas de trace dans le Talmud. Ce n’est pas que le nombre de 613, décomposé en 248 et 365, ne soit pas quelque chose d’admis. Au contraire, toutes les sources de la tradition orale le mentionnent : Talmud Babli (Shevouoth 29a, Nedarim 25a, Yevamoth 47b, Shabath 87a etc), Bereshit Raba (24.5), Midrash Tan’houma (Ki Tetsé2) Pirqei de Rabi Eliezer (chap 41) et Shir Hashirim Raba (1.17).
Cependant, il n’existe pas dans ces sources, trace de l’activité de comptage elle-même. En des dizaines d’endroits, les Tanaïm et les Amoraim discutent sur un comportement : recommandation à agir ou possibilité offerte à la personne d’agir ainsi ? Ce genre de controverse a une implication directe sur le comptage des mitsvoth, or il n’a jamais été question de savoir comment ces auteurs en controverse effectuent le comptage des 613, chacun selon son opinion. Bref, on a l’impression que cette activité de comptage n’a pas la place dans la tradition orale que Rambam voudrait lui donner.
La question se pose encore avec plus de véhémence parce qu’on possède une chaîne de tradition orale jusqu’à aujourd’hui, qui ignore complètement l’activité du comptage des mitsvoth en 613. C’est la tradition qui commence avec le Rif et se poursuit avec le Rosh, le Tour et le Shoulkhan Aroukh et tous ses commentateurs, y compris la Mishnah Beroura. Cela prouve bien que l’activité de décisionnaire – savoir faire monter la tradition orale d’écoute au cœur de la méthode, de la règle à suivre, à partir de la littérature océanique qu’est le Talmud – n’est pas nécessairement liée au comptage des mitsvoth en 613 !!
On demande donc à Rambam :
Entre la Michnah et le Michné-Torah : le Talmud. Les deux versions de la Torah orale
Introduction : Pour comprendre le travail que Rambam entreprend dans le comptage des Mitsvoth en tant que préliminaire à son Michné-Torah, il faut revenir à la racine du sujet : la Torah Orale.
Que dire de ce coupe Torah écrite / Torah orale ? Pourquoi tout n’est-il pas écrit ? Pourquoi tout n’est-il pas oral ? Que veut dire écrit, que veut dire oral ?
La Torah orale a deux formes de présentation : l’une, courte, présentation sous forme de halakhah; l’autre, longue, bâtir l’intelligence du texte de la Torah pour y entendre la halakhah de la Michnah et pour être en mesure de formuler un énoncé de la halakhah qui tienne compte des règles et des méthodes d’interprétation du texte de la Torah. L’une est un énoncé de la tradition qui répète le contenu de la Torah en tant qu’elle est Mitsvah, c’est-à-dire Halakhah dans une concision proche du texte de la Torah elle-même. L’autre est une formulation complète du lien qu’il y a entre cette halakhah et le texte de la Torah en exposant les règles et les méthodes de pensée et de lecture à suivre pour parvenir à ce lien.
L’histoire a apporté le texte de la Michnah avant celui du Talmud. Cela a eu pour conséquence de devoir reformuler toute la Mishnah, c’est-à-dire la halakhah après que celle-ci ait été amplifiée et développée. C’est à cette tâche que les Géonim se sont attelés pendant les 500 ans qui ont suivi la rédaction du Talmud : enseigner le Talmud et formuler toute la halakhah qui en sort. Tâche difficile dans la mesure où chaque page du Talmud développe plusieurs aspects possibles sur une question, ce qui est à l’opposé de la formulation de la halakhah, de la mitsvah ! Or dans l’agissement on ne peut retenir deux contraires ! Voilà qu’on a dû formuler une nouvelle Michnah. Cette formulation était orale pendant toute la période des Géonim. Au besoin, les Géonim adressaient des responsa aux communautés qui dépêchaient des émissaires chez eux à Bavel. C’est à la période des Richonim qu’on commence à rédiger par rédiger par écrit cette nouvelle Michnah.
C’est en cela que Rambam a voulu inscrire son oeuvre dans la Torah-orale. Sa lange est celle de la Michnah. La manière dont les énoncés sont appelés à former un texte, sont similaires dans la Michnah de Rabi et le Michné Torah (nonobstant, pour l’instant, le changement d’ordre que Rambam a opéré par rapport à celui de Rabi. Son contenu est la halakhah qui se dégage de toutes les sources de la tradition orale : tout d’abord Talmud Babli mais aussi Yeroushalmi, Mekhilta, Tossefta, Sifra, Sifri. Une répétition de toute la Torah-orale : Mishné-Torah.
Les trois acceptions des mots Michnah et Talmud : exercice, époque et corpus
Corpus
1/- On utilise le plus souvent les mots Mishnah et Talmud comme désignant des corpus de textes; ce qu’ils sont.
Cependant, les mots Mishnah et Talmud ne désignent pas seulement des corpus, mais aussi des exercices d’apprentissages bien distincts.
Exercice
La Mishnah et le Talmud comme exercice.
Berakhoth 5a : « Rabi Levi fils de ‘Hama interprète au nom de Rabi Shimon fils de Laqish : quelle est la signification de cette Ecriture (Sh 24-12) : « Je te donnerai les Tables de pierre et l’Enseignement et la recommandation que J’ai écrits pour les guider » ? Les Tables, ce sont les 10 Paroles; l’Enseignement – Torah-, c’est le texte de la Déclamation; la Recommandation – Mitsvah, c’est la Mishnah; Que J’ai écrits, ce sont les huit prophètes et les 11 livres d’Ecriture de la Sainteté [dans leur accent de remontrance]; Pour les guider, c’est le Talmud. Ce verset vient nous enseigner que l’ensemble de ces parties-là ont été données à Moshé au Sinaï.
Précisons ce qu’est la Mishnah comme exercice. Le mot Mishnah est synonyme de Torah-orale. Le mot Mishnah désigne la répétition du contenu de la Torah-écrite avec des mots qui ne sont pas ceux déposés dans l’Ecriture, mots de prophétie, mais sont ceux de l’homme qui les répète. C’est en ce sens que Rashi souligne, à propos du verset (Shemoth 31-8) » Il donna à Moshé, lorsqu’Il conclut de parler avec lui au mont Sinaï … ». Rashi : Parler avec lui, cela nous apprend que Moshé écoutait de la bouche de la Puissance et qu’ils répétaient et redisaient la voie ensemble ».
Hashem parle à Moshé clairement et explicitement et ce sont les paroles de la prophétie, de la Torah-écrite. Ensuite, ils reprennent l’enseignement du point de vue de Moshé, de celui qui reçoit la Torah. Hashem et Moshé discutent ensemble pour répéter le contenu de la prophétie dans une parole qui la déploie comme recommandation, la voie à suivre pour réaliser la mitsvah par celui à qui elle a été adressée. C’est en ce sens que Rashi interprète en deux endroits (Devarim 4-6 et 12-28) le verbe « garder » comme désignant l’exercice de la Mishnah. Pour réaliser une mitsvah, l’homme doit avoir en garde, en mémoire, la Mishnah qui donne le contour et la forme de la mitsvah. Le mot Mishnah, dans les références ci-dessus, ne désigne pas le corpus scellé par Rabi, mais une forme de l’apprentissage de la Torah. Dire l’enseignement de la prophétie, dans une langue qui a le souci précis du vécu humain, à qui cette prophétie est adressée..
Précisons ce qu’est le Talmud comme exercice. Voici la préoccupation qui a pour nom Talmud selon Rambam – Méthodes de l’apprentissage de la Torah (1.11) : il construit l’intelligence d’un propos de la Torah depuis son expression aboutie en remontant jusqu’à son commencement; il déduit une chose d’une autre et compare une chose à l’autre; il raisonne avec les mesures d’enquête du texte de la Torah jusqu’à connaître le fondement des mesures, comment on en déduit l’interdit et le permis et toutes les choses qu’il a apprises par tradition d’écoute. La Mishnah, comme synonyme de Torah-orale, a besoin d’un autre discours à côté d’elle pour la fonder et la justifier. Les énoncés de la Mishnah sont laconiques; ils doivent être explicités. Le Talmud est l’explicitation des sources de la Torah-orale dans la Torah-écrite, des paroles et des mots employés par la Mishnah et des développements des sujets abordés par la Mishnah (Iqarei, Divrei et Inyanei Hamishnah). La langue de la Torah et la possibilité qu’elle a d’être examinée pour y trouver son intention, est ce que Moshé Rabenou a reçu au Sinaï. L’analyse de la langue de la Torah dans ses détours et ses retours, ses rebours et ses recours, est ce que l’on appelle le midrash ou la drashah, l’enquête du texte. Les méthodes de lecture, les mesures d’interprétation du texte qui sont des outils didactiques complexes et leur utilisation est ce que l’on appelle le Talmud et ce qui a été transmis à Moshé Rabenou au Sinaï. Le Talmud, avant d’être un corpus, est un ensemble de méthodes et de mesures d’interprétation qui sert à rendre intelligible le lien entre la Torah-écrite et la Torah-orale.
Epoque : la période de la Mishanh et celle du Talmud
Après les mille ans de la prophétie commence une nouvelle période dans notre rapport à la Parole de Hachem. De façon assumée et publique on proclame la fin de la parole prophétique adressée à un prophète vivant. Les Hommes de la Grande Assemblée ont engagé le peuple dans une répétition de l’alliance sur la base de la seule autorité de la Torah-orale. Donéravant Hashem ne parle aux hommes qu’à travers les Sages et tout homme qui répètent et interprètent la Torah écrite et orale.
Cette répétition, période du Bayith Shéni – « Demeure répétée » – commence 40 ans après la construction du Temple et dure 500 ans pour finir quand Rabi a scellé la Mishnah. Cette époque a été marquée par les Sages qui, générations après générations, ont dirigé le peuple par leur enseignement, dont l’essence est rapportée dans le premier chapitre de Avoth.
Il y a lieu maintenant de s’interroger sur les phases de rédaction de la Torah-orale.1/- Pourquoi a-t-elle été rédigée et scellée par Rabi alors que cela n’avait pas été fait ? 2/- Pourquoi Rabi a-t-il rédigé que la Mishnah et pas un Talmud en même temps pour exposer les méthodes, les sources et tous les développements ? 3/- Pourquoi Rav Ashi a-t-il rédigé le Talmud sans reformuler à nouveau toute la Mishnah ? 4/- Pourquoi Rabi et Rav Ashi n’ont-ils pas rédigé une oeuvre de style Mishné-Torah ? La réponse à cette interrogation est le sujet de la lettre que Rav Sherira Gaon a envoyée à la Yeshiva de Qairouân :
Venons-en à présent, à répondre aux questions qu’on a posées à Rambam sur sa démarche :
ANNEXES