Quel est le sens de compter les mitsvoth ?

Quel est le sens de compter les mitsvoth ?

21/06/2018 Non Par VedibartaBam

Quel est le sens de compter les mitsvoth ? Dès lors que l’on admet le nombre de 613, tout décompte n’est-il pas arbitraire ? Les grands commentateurs ne sont-ils pas en désaccord sur la manière de compter ? Pour certains, le nombre des mitsvoth est en fait incalculable !
C’est notamment ce qu’exprime le maamar du Gaon rapporté dans le Maalot haTorah : chaque mot de la Torah est une mitsvah, comme une graine qui va donner un arbre avec ses racines et ses branches et ramifications …

D’où vient ce nombre de 613 ?

Certains font remarquer que la valeur numérique du mot « TORaH » (תורה) est 611. À cela s’ajoutent les deux premières Paroles que le peuple d’Israël entendit de H’ Lui-même. 365 mitsvoth négatives « lo taassé » correspondant aux jours de l’année solaire ; 248 mitsvoth positives « assé » correspondant aux membres du corps …
C’est ce que l’on retrouve chez Rabbi Simeon ben Azaï (Sifré sur Deutéronome 7:6) ou chez Rabbi Eléazar ben Yosse HaGlili (Midrash Aggada sur Genèse 15:1). C’est également cité dans le Midrash Shemot Rabba 33:7, Bamidbar Rabba 13:15–16; 18:21 et dans Yevamot 47b.
Par la suite, d’autres commentateurs (le Baal HaTourim, le Maharal de Prague, certains dirigeants trouvent des allusions ou d’autres guematrioth aboutissant au nombre de 613 commandements.
D’autres estiment qu’il y a « réellement » 613 mitsvoth énumérées telles quelles dans la Torah. Rachi fait remarquer que la guematria du mot tsitsith est de 600, à laquelle s’ajoutent les 8 fils et 5 nœuds ; ce qui donne 613. C’est pourquoi, selon lui, il est dit qu’il faut « les regarder », car ils rappellent les 613 commandements de la Torah. Cependant Ibn Ezra s’oppose à un tel décompte : « certains sages énumèrent 613 mitzvoth, de nombreuses et diverses façons, […] mais en vérité, il n’y a pas de fin au nombre des mitzvoth […], et si nous ne devions compter que les principes de base, […] le nombre de mitzvoth n’atteindrait pas 613 » (Yessod Mora, Chapitre 2).

Le Ramban estime de même que ce compte est sujet à controverse, ne faisant pas l’unanimité dans l’opinion des rabbins. Néanmoins, « ce nombre ayant proliféré à travers la littérature aggadique, […] nous devrions dire qu’il s’agissait d’une tradition de Moïse au Mont Sinaï » (Hassaguoth sur le premier shoresh du Sefer Hamitsvoth du Rambam).

Le Rashbats écrit que « peut-être ce consensus, sur le nombre de mitzvoth fixé à 613, […] ne reflète-t-il que l’opinion de Rabbi Simlaï, en suivant sa propre explication des mitzvoth. Et nous n’aurions pas besoin de cette explication lorsqu’il s’agit de déterminer la loi, mais plutôt lors de discussions talmudiques » (Zohar Haraqi’a).

Que dit la Guemara

« Rabbi Simlaï a dit : 613 commandements furent donnés à Moïse, 365 « lo tassé », égaux au nombre de jours dans l’année solaire, et 248 « assé », correspondant aux membres du corps.

Vint David qui les réduisit à 11, ainsi qu’il est dit : « Éternel, qui séjournera dans Ta tente ? Qui demeurera sur Ta montagne sainte ? — 1. Celui qui marche dans l’intégrité 2. qui pratique la justice et 3. qui dit la vérité selon son cœur 4. Il ne calomnie pas avec sa langue, 5. il ne fait pas de mal à son semblable, et 6. il ne jette pas l’opprobre sur son prochain. 7. Il regarde avec dédain celui qui est méprisable, mais 8. il honore ceux qui craignent l’Éternel ; 9. il ne se rétracte pas, s’il fait un serment à son préjudice 10. Il n’exige pas d’intérêt de son argent, et 11. il n’accepte pas de don contre l’innocent »(Psaumes 15:1-5)

Vint Isaïe qui les réduisit à six, ainsi qu’il est dit : « [Qui de nous peut demeurer près d’un feu dévorant ? …] 1. Celui qui marche dans la justice, et 2. qui parle selon la droiture, 3. qui méprise un gain acquis par extorsion, 4. qui secoue les mains pour ne pas accepter un présent, 5. qui ferme l’oreille pour ne pas entendre des propos infamants, et 6. qui se bande les yeux pour ne pas voir le mal » (Isaïe 33:15).
Vint Michée qui les réduisit à trois, ainsi qu’il est dit : « Et ce que l’Éternel demande de toi, c’est 1. que tu pratiques la justice, 2. que tu aimes la miséricorde, et 3. que tu marches humblement avec ton Dieu » (Michée 6:8)

Vint encore une fois Isaïe qui les réduisit à deux, ainsi qu’il est dit : « Ainsi parle l’Éternel : Observez ce qui est droit, et pratiquez ce qui est juste » (Isaïe 56:1).
Vint Amos qui les réduisit à un, ainsi qu’il est dit : « Car ainsi parle l’Éternel à la maison d’Israël : Cherchez-moi, et vous vivrez  » (Amos 5:4)
Mais c’est ‘Habaqûq qui les a tous fondés sur un seul principe: « Le juste vivra par sa foi. » (Hab. 2:4) Makkot, 23b ».
Les Rishonim comme le Rambam, Ramban et même les A’haronim se sont disputés sur ce compte avec des questions et contradictions très fortes.
Mais sur le compte du Rambam, on ne peut pas vraiment poser de question. Cependant beaucoup de mitsvoth « basiques » ne sont pas rapportées. Pourquoi les Hakhamim se sont-ils disputés sur ce compte qui n’a de base qu’une « agadah » dans la Guemara ? uel en est l’intérêt ? Il y a pourtant une tradition que ce compte est important. Pourquoi, parce qu’il est à la base des mérites et de la singularité d’Israël. Rabbi Hanania ben Hakachia dit : « Hkbh voulu donner du mérite aux Bnei Israël, donc leur donner beaucoup de Torah et de mitsvoth… ».
Le Gaôn s’interroge : en quoi est-ce un mérite ? Au contraire, s’il y avait eu moins de mitsvoth, cela aurait été plus simplte ! Et pourquoi parler de Torah et Mitsvoth et pas seulement de Mitsvoth ? Le Maaloth HaTorah explique au nom de son frère qu’il y a beaucoup de parashiyoth où il n’y a pas de « mitsvoth » en tant que telles (par exemple, de Bereshith à Bo, il n’y aurait que trois « mitsvoth : P’rou our’vou, milah et guid hanashé). Il est impensable que ces parashiyoth ne soient que des histoires accessoires ! Dans les agadoth de la Guemara ou dans les midrashim, dans les actions des Avoth, la Torah ne parle jamais d’une mitsvah à proprement parler, et pourtant tout est mitsvah ! DONC, on doit dire que chaque parole dite par la Torah est une mitsvah à part entière. Par conséquent, il y a tellement de mitsvoth que l’on ne peut pas les compter. Par contre, il y a une difficulté à comprendre dans la Torah quel sens donner aux mitsvoth. Car on
serait obligé de le présupposer, comme si on faisait « délirer D.ieu » (Spinoza) alors qu’on ne veut pas donner de valeur humaine, de sens humain, à la Torah qui est parole divine. Les mitsvoth s’arrêtent à ce qu’elles sont et on ne doit pas chercher de « morale » derrière les mitsvoth (Kouzari).

On comprend bien que Shabbath est une mitsvah, mais dans l’esprit de la mitsvah, il y a beaucoup plus de mitsvoth que la simple action.
Une mitsvah est ainsi quelque chose qui s’étend. Tout le travail de la Guemara consiste à faire communiquer les mitsvoth ensemble. Shabbat avec Kippour ou avec Pessah… C’est en faisant ces liens que l’on peut comprendre le sens des mitsvoth.

Les mitsvoth, un ensemble matriciel

Ainsi se construit l’idée que les 613 mitsvoth font système ; elles constituent un ensemble de principes qui s’expliquent les uns par les autres. Ce système, comme une matrice mathématique, produit le sens des mitsvoth (au lieu que leur sens soit pensé à partir d’une « source divine »). C’est une matrice qui permet de trouver tout le reste.
En cela, on comprend ce que dit le Gaôn pour qui le décompte n’est pas important car chaque mitsvah est mise en relation avec toutes les autres et les contient. Si quelqu’un fait une seule mitsvah, il mérite Olam Haba car toute mitsvah contient les 613. C’est pour cela qu’Israël a eu le mérite d’avoir beaucoup de mitsvoth car c’est ce qui donne la possibilité de créer une matrice où tout devient mitsvah.
La question est dès lors de savoir quels principes on utilise pour sélectionner les mitsvoth qui entrent dans la matrice et expliquent les autres … Autrement dit, selon le mashal du Gaôn, quelles sont les racines et quelles sont les branches. C’est cela même l’objet des ma’hloqtoth entre Hakhamim.
On pourrait se demander dès lors quel est le sens de ne donner que 10 commandements au Sinaï et pas toutes les mitsvoth ? C’est par cette question que tout commence car c’est à travers ces 10 Paroles que l’on doit interpréter les mitsvoth …

Shiour par Rav Ouriel Avigès

Paris-New York, le 20 février 2018