Séminaire sur le Shoresh 3
3ème principe : un commentaire de Yona Abitbol pour le séminaire
Le Rambam énonce son troisième principe » Ne pas prendre en compte les recommandations qui ne sont pas d’application pour les générations »; il attaque 7 mitsvoth énumérées par Bahag.
Rambam fonde sont principe de ce que l’énoncé de Rabbi Simlaï sur les 613 mitsvoth se réfère au verset de Devarim : Torah tsiva lanou morashah, or « morashah« , un héritage, ne se dit que sur ce qui se perpétue de génération en génération [ dans les mots du Rambam, à la fin du Sefer haShorashim : « yeroushah eyn lah hefseq« ].
De plus, Rambam s’appuie sur l’image de 365 qui correspond à l’année solaire, qui, comme son nom l’indique, se représente comme un anneau, c’est-à-dire un cycle de temps qui se répète en continu et sans aucune interruption.
Avant même d’avoir énoncé ces deux arguments, Rambam ouvre une parenthèse pour préciser l’emploi du mot Sinaï. Sinaï ne désigne pas tout ce qui y a été dit, mais seulement « Oussoul al-Tasrieh« , le principe même de la sharia, de la Torah comme voie à suivre, comme Halakha.
Le verset que le Rambam convoque est celui par lequel il ouvre le Mishné Torah et qui expose ce que Moshé Rabbénou a appris au Sinaï de la Gevoura, pour nous le transmettre avec les Lou’hoth écrites : la déclamation (Miqra), la répétition (Mishnah), les prophéties adressées au peuple (Neviim), les Ecritures de la sainteté transmises comme telles (Ketouvim) et l’apprentissage en règle (Talmud).
L’exercice : « Ecriture, déclamation, répétition, apprentissage en règle », se fait à l’intérieur d’une matrice où la Torah écrite et orale s’appelle Mitsvah, ou plus exactement, par une tradition unanime, 613 Mitsvoth.
Cet exercice, Moshé Rabénou l’a pratiqué durant 40 jours au sommet du Sinaï; la représentation que l’on se fait de ces 40 jours, c’est ce que l’on désigne par « Matan Torah miSinaï » ou « Oussoul al-Tashrieh« ..
Vers la fin du Shoresh, Rambam revient à la charge : personne ne pourrait prendre en compte : 1/- Etre prêt pour la tenue dans 3 jours; 2/-Ne pas faire paître les animaux aux abords de la montagne; 3/-Ne pas franchir en brèche les barrières de la montagne.
Ces Mitsvoth sont du Sinaï mais aucun homme doté d’intelligence ne saurait les prendre en compte. Rambam a conclu par là sa démonstration que le mot « Sinaï » de « Moshé qibel Torah miSinaï » a une signification particulière et désigne une représentation de l’ensemble de la Torah, écrite et orale, que Moshé Rabénou a appris de la Gevoura et qu’il nous a transmise. Plus tard, Rabénou Moshé Maïmone a complété la Torah orale par une oeuvre qui en fait la somme.
Le principe du Shoresh 3 est si évident que Rambam déclare » Miséricorde et Paix » que Baha »g puisse s’y tromper. C’est donc une discussion qui doit s’engager dans le détail. Rambam a donné la motivation qui le pousse à réformer l’énumération du Baha »g. En revanche, à travers la critique de Rambam, RambaN refait le travail en sens inverse pour expliquer la justesse de l’énumération du Baha »g.
Rambam a rejeté du compte :
- 1/- « Ils ne viendront pas quand on enveloppe les objets de la sainteté »
- 2/-« Il ne servira plus après 50 ans (pour le Levi) »
- 3/-Le prélèvement de l’impôt sur le butin de guerre
- 4/-La dédicace, l’initiation de l’Autel
- 5/-Les bénédictions et malédictions avec les 12 tribus sur Ghérizin et Eybal
- 6/-Les grandes pierres où sont écrites les 613 Mitsvoth qu’on érige en autels
- 7/-Apporter des shlamim au Mishkân
RambaN explique les 6 premières, mais n’est pas mitya’hes au 7ème. Par contre il mentionne une 7ème mitsvah pour Baha »g : tenue de supplications aux moments de détresse collective.
1/-,2/- et 4/- sont d’application pour les générations : pour le voleur d’objet du Beth Hamiqdash, dont on sait par tradition qu’il est hayav mitah, pour le transfert éventuel du Arôn comme cela eût lieu avec David (Divrei HaYamim 1. 15-12). Celles-là, RambaN les intègre à son propre compte. 5/- et 6/- pourraient être prises en compte en ce qu’elles sont encore des tenues qui se maintiennent dans leur sens jusqu’à aujourd’hui bien qu’elles n’aient été réalisées qu’une seule fois. La 3/- de Teroumat hamekhès est la mitsvah sur laquelle le RambaN paraît le plus hésitant. A deux reprises, il répète qu’il ne comprend pas la raison du Baha »g de l’avoir pris en compte. Cependant, il envisage d’expliquer qu’elle d’application pour les générations et comme on le voit chez David (Divrei Hayamim 1.8-11). La Mitsvat Ta’hanounim beshaath Tsarit que RambaN mentionne pour Baha »g est le pendant de la mitsvat Hallel a compté et que RambaN a expliqué au shoresh au Shoresh 1 (pages 19 à 22).
Allons dans le détail de chaque mitsvah pour essayer d’attraper la ligne de controverse en Rambam et Baha »g.
3/- La controverse sur « lo yavohou liroth keval’a eth haqodesh« . Rambam repousse cette mitsvah du compte car le pshouto shel miqra parle de la déconstruction du Mishqân qui n’est pas d’application pour les générations. Le fait que les Sages de la tradition orale y lisent une interdiction de voler les objets du Beth Hamiqdash est un remez et non pas un meqor. En fait, cette hassaga a pour fond le shoresh 2 : ne pas prendre en compte ce qui est appris par tradition orale. Ce à quoi RambaN rétorque qu’avec le principe « eyn bideRabanan ‘hiyouv mitah clal« , Rambam aurait dû y voir une indication claire de la tradition orale à prendre en compte la lecture « remez » de « gonev eth haqasvah« . D’où la question : comment Rambam explique-t-il le ‘hiyouv mitah de gonev haqasvah ?
4/- La controverse sur « lo yaavod od » des Leviim. Pour Rambam, cette mitsvah comme la précédente n’est d’application qu’au déseert et avec le Mishqân. Après, la mitsvah de transporter le Arôn ne conceerne plus que les Cohanim qui, eux, ne sont pas limités dans l’âge maximal. RambaN engage ici une controverse fondamentale avec Rambam et démontre à partir de Divrei Hayamim que David a compté les Leviim entre 30 et 50 ans au moment de transporter le Arôn de la maison de « oved Edom highiti » au lieu du Beth Hamiqdash. Penser que la mitsvah de porter le Arôn ne s’applique plus du tout au Leviim mais qu’aux seuls Cohanim est une svara nifsedeth
5/- La controverse sur les Milouïm et Hanoucath Hamizbea’h. Pour Rambam, les Milouïm et la ‘Hanoucath Hamizbea’h n’ont pas à être pris en considération car ils sont tous des horaat shaa selon les indications d’un Navi. Rambam pense que les Cohanim n’ont plus de Mitsvah de ‘hinoukh (à part celle de Min’hat Hinoukh) mais le Mizbea’h a une mitsvat ‘hinoukh quand il est relancé après une interruption. Et là, RambaN rejoint l’idée de Baha »g d’énumérer Hanoucah des ‘Hashmonaïm qui découle de mitsvat ‘hinoukh hamizbea’h. Voilà qu’à Hanoucah où la mitsvah est Ner ish ou Beito, chacun réalise dans sa propre maison un acte de ‘hinoukh habayit vehamizbea’h : allumer une lampe.
Pour ces trois mitsvoth (Gonev Hacasvah, lo yaavod et ‘hanoucat hamizbea’h) RambaN situe la démarche de RambaM dans l’erreur. Il reste encore à préciser tout le mahalakh de RambaM.
6/- A propos deTeroumat Hamekhes. Ici le RambaN est le moins sûr. Cependant ce qu’il met en avant est très intéressant : après toute mil’hemet hareshout, on revient avec un matériau ou un objet de cette guerre et on le fixe au Beth Hamiqdash. Ramban cite de nouveau Divrei Hayamim. On pourrait rapprocher cela aussi du « ergoz sheshigrou Plishtim » qui était posé à côté du Arôn.
7/- A propos des Avanim Gedoloth. Il est très intéressant de voir surgir le sujet des 613 mitsvoth écrites sur ces pierres en 70 langues. Selon le Gri’z de Brisk (Mena’hoth 29b) ces pierres étaient en Ktav ashouri et comportaient les Taghim que Rabi Aqiva a été doresh.
8/- A propos de Brakhoth ouKlaloth. Le 7ème pereq de Sota montre assez clairement, comme le Baha »g que les Brakhoth ou Klaloth sont des mitsvoth et c’est pourquoi ils ont fait l’objet d’une description allongée dans la Mishnah.
9/- A propos de Amôn, Moav et Seïr. Rambam a mentionné ironiquement que Baha »g aurait dû compter l’interdiction de faire la guerre à Amon et Moav. Ramban profite d’une proximité particulière des termes « morashah » dans ce shoresh et retourne contre Rambam et Baha »g la question : on doit prendre en compte trois lavim : Amôn, Moav et Seïr. De manière générale la clôture du Sefer Hamitsvoth du Ramban détaille bien les différentes réticences de ce dernier à arriver une fois avec un compte sans doute. Ce qui ne l’a pas empêché de se lancer, ni de promettre qu’il s’y remettrait bientôt pour préciser quelques doutes …
10/- Le passouq cité dans ce shoresh est le début du Mishné Torah. Il est lui-même cité à l’appui par RambaN (p. 19) avec un léger shinouy girsa : « monte vers Moi au sommet de la montagne » (Shemoth 24.12).
Le verset par lequel Rambam fonde son oeuvre dans son introduction au Mishné Torah avait fait l’objet d’un repérage par Rambam dans le Sefer Hashorashim, shoresh 3 : « quand on utilise l’expression Sinaï, on n’a pas d’autre intention que de désigner le principe de l’enseignement de la voie (Oussoul al-Tashri’a) qui a été transmise au Sinaï; c’est ce que l’Allah L’élevé dit : monte veers Moi au sommet de la montagne et dispose toi à être là-bas et Je te donnerai les Tables de pierre …«
La source de Rambam est Brakhoth 5a. La Guemara déduit de la lecture minutieuse de ce verset que le principe de l’enseignement de la voie au Sinaï se dit en cinq parties :
- 1/- L’écriture du texte des 10 Paroles sur pierre
- 2/-Le texte à déclamer de l’enseignement de la voie, la prophétie déclamée, le miqra.
- 3/-La répétition du contenu de la parole prophétique dans des mots qui s’adaptent aux divers champs de la vie humaine, la Mishnah ou la tradition orale qui accompagne la parole prophétique.
- 4/- Une relance du message prophétique adressée à chaque génération, les huit livres des Prophètes et un développement transmis directement comme un rouleau écrit de divers thèmes centraux de la Torah : les 11 Rouleaux d’Ecritures.
- 5/- Les méthodes d’enquête du texte. Les règles qui fondent le raisonnement de l’examen du texte de la parole prophétique. Ce qui permet l’intelligence de la parole aboutie depuis son principe, le Talmud
- La transmission que Hashem fit à Moshé au sommet du Sinaï se compose de cinq parties qui forment un ensemble. L’Ecriture des 10 Paroles, la Torah, la Mishnah, les Neviim et Ketouvim et le Talmud, est ce qu’on désigne par Sinaï qui est le principe de l’enseignement de la voie. Chaque partie se distingue des autres mais entretient avec elles des rapports étroits. Pour monter au sommet de la montagne et pour comprendre comment être là-bas, à nous de préciser tant que faire se peut, ces cinq parties et comment elles s’agencent entre elles.
Yoan ABITBOL
Janvier 2019